Article de Valérie Meimoun-Hayat, avocate associée (Granrut) publié par actuentreprise.com
Comment déstresser la relation au travail et permettre au salarié de venir travailler avec envie, voire plaisir ? Cette question est devenue centrale depuis l’explosion en France des problématiques liées aux risques psycho-sociaux.
Le monde du travail a connu et connaît depuis ces dernières années des mutations profondes, mondiales, qui ont une pris une résonnance particulière en France. Elles génèrent une multiplication des risques imputés principalement au stress et n’épargnent aucun secteur d’activité. La prise en compte de ces risques est devenue l’un des piliers des obligations que le droit du travail français a mis à la charge de l’employeur qui doit désormais veiller au bien-être de ses salariés. Mais comment s’y prendre ? D’abord comprendre.
1 – La relation de travail au quotidien est structurée par des concepts forts issus des principes fondamentaux posés par le droit du travail, quels sont ces concepts ?
- le lien de subordination: le salarié est lié à l’employeur par un devoir d’obéissance
- le pouvoir d’organisation et de Direction de l’employeur : il peut donner des ordres et sanctionner en cas de non-respect de ceux-ci.
- les droits du salarié sont au centre d’un ensemble de règle gouvernées par un ordre public de protection qui fait du salarié le seul « protégé » de la relation de travail, et vient limiter le pouvoir de direction précité.
Ainsi, le droit du licenciement unilatéralement dévolu à l’employeur est conditionné au plan individuel par la faute prouvée du salarié, celui-ci cherchant parallèlement à s’en exonérer.
La culture dominante dans la relation de travail véhiculée par ces concepts juridiques est celle de « la prise à défaut ». Cela induit un processus comportemental prioritairement fondé sur la peur de mal faire pour le salarié et la crainte pour l’employeur de ne pouvoir que très difficilement se séparer de salariés non compétents ou non performants. Cette construction donne à la relation de travail une dimension, au mieux inamical au pire « paranoïaque ».
Ces principes induisent en effet une évolution paradoxale entre le pouvoir (à l’employeur) et le droit (au salarié) qui s’entrechoquent de manière hostile.
L’enlisement des situations managériales qui en découlent est donc fréquent. Et ce d’autant que l’on a voulu parallèlement imposer des modèles de « management à l’anglo-saxone » qui sont culturellement différentes voire opposées à la mentalité française. Ajoutons que le droit du travail français subordonne toute évolution de travail à l’accord préalable du salarié qui vit donc toute modification de son contrat de travail comme une atteinte à ses droits et fige la relation de travail.
2 – Les risques psycho sociaux, le malaise au travail et la responsabilité de l’employeur :
Très succinctement, les risques psycho sociaux résultent de l’évolution moderne de la performance au travail, généralisée par la mondialisation qui précarise l’emploi. Ainsi il est possible d’avancer que le stress en entreprise a évolué en même temps que les critères de certification qualité et que ce sont développées les process d’évaluation professionnelle, mais aussi que la mondialisation de l’économie a accru les sphères de compétitivité rendant les problématiques concurrentielles incontournables pour la survie des entreprises. Le droit du travail a concomitamment érigé en obligation de résultat pour l’employeur, l’obligation de sécurité en matière d’hygiène et de sécurité physique et mentale des salariés.
Cette construction juridique s’est faite également en partie autour de la notion de harcèlement moral (dont la reconnaissance n’a été légalisée et pénalisée qu’en 2002) qui a conduit à une banalisation des actions en indemnisation mais aussi à une reconnaissance du caractère nocif de certaines forme de management. L’ampleur des syndrômes anxio dépressifs liées au travail a été telle, que l’effet boomerang chez l’employeur était inévitable.
3 – Le respect et la vérité à intégrer dans les relations de travail sont autant de clefs qui peuvent aider à mieux gérer les situations et dédramatiser la relation au travail.
Il faut avoir conscience qu’un management « mou » aboutit aux mêmes effets qu’un management « dur ».
Adoucir le discours des managers, mettre la reconnaissance et le respect de la dignité humaine au centre de la relation de travail est nécessaire mais cela ne signifie pas interdire la critique permettant la progression de chacun ou au contraire le constat de l’incapacité à faire face à certaines tâches.
Il m’apparaît essentiel de « déstresser » la relation au travail en permettant aux managers de critiquer le « faire » et non l’être. L’employeur doit pouvoir user de son pouvoir d’appréciation professionnelle et le salarié a le droit de savoir ce qu’il a bien fait ou mal fait pour progresser ou réorienter ses compétences voire en acquérir d’autres.
Les risques psycho sociaux ne peuvent pas être gérés de manière mécanique en fonction d’un catalogue de préconisations psychologiques bienveillantes ou en fonction exclusivement de règles de droit. Il faut s’approprier les deux.
Il existe un stress moteur positif, utile voire indispensable à la performance (ce qui autrefois correspondait très simplement à la « conscience professionnelle ») qui fait que chacun essaie de faire de son mieux.
Le stress ne devient nocif que si il est intense et continu au point d’aboutir à une surexposition sans « respiration », qui effectivement peut conduire au « burn out ».
Pour aider les salariés à mieux vivre certaines contraintes il faut veiller à dédramatiser les concepts imposés par le droit du travail avant tout par la maitrise de leur portée.
Le constat que nous faisons en 2015 est donc paradoxal, à l’image des principes évoqués plus haut : les obligations pèsent très durement sur les employeurs (et en particulier sur les DRH, en plein désarroi) alors que des droits toujours plus aboutis (en théorie) pour les salariés n’empêchent pas une réelle souffrance au travail.
Remettons au centre de la relation de travail la nécessité de respecter l’humain sans nier celle d’une performance professionnelle nécessaire pour rester compatible avec l’économie de l’entreprise. Favorisons par la formation et la sensibilisation des acteurs, les discussions de fond sur la nécessité de ne pas laisser seul un salarié stressé par la non atteinte d’objectifs, dissocions les problématiques d’évaluation des performances de toutes connotations fautives pour limiter la culpabilité des salariés au travail, et éviter de généraliser les comportements de déresponsabilisation. Le salarié et l’employeur doivent redécouvrir ensemble la satisfaction de créer de la valeur.
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